Terre de profondeur
Terre cuite, Palais de Tokyo 2013, "All that falls"
Photographie André Morin
Présentée à l’origine au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière, l’œuvre de Dominique Ghesquière faisait resurgir un paysage disparu, inondé en 1950 pour créer un lac artificiel. Réalisé en terre cuite, ce sol desséché remonte comme un souvenir enfoui qui refait surface. Il est la mémoire du sol toujours disparu. Le sol sous nos pieds en recouvre toujours un autre, passé, ancien, originel. Paradoxe des matières : ce sol d’aspect friable a été réalisé dans un matériau d’une grande dureté qui permet de le fouler sans dommages. Son réseau de craquelures et de crevasses fait obstacle à la marche, nous obligeant à regarder où nous mettons nos pieds. Pour l’homo erectus, accoutumé depuis longtemps à marcher la tête dans les étoiles, le regard à l’horizon, il nous faut d’un coup baisser les yeux. Le « par-terre » nous saute aux yeux comme un rappel de ce temps où nous courrions au ras de la Terre Mère, le nez au plus près des odeurs. Terre de profondeur (2013) s’étend devant nous, sous nous, comme la mémoire de ce temps animal d’avant notre verticalisation, où Freud voyait le commencement du procès de civilisation.
Gérard Wajcman